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CST, 80 ans d’excellence technique
Quatre-vingts ans et toutes ses dents… Depuis huit décennies, la CST poursuit sa passion de transmission des savoirs et de valorisation du travail des techniciens avec la hardiesse d’un cheval au galop. L’occasion de revenir sur l’histoire de l’association et l’impact passé, présent et futur qu’il a sur ses adhérents et partenaires. Coup de projecteur sur une histoire qui s’est écrite sous le sceau de l’excellence.
Naissance de la CST : une affaire d’équilibre des pouvoirs
Pour comprendre d’où vient la décision de la création de la CST, il nous faut replonger dans les méandres de la Libération de notre pays.
Si le secteur du cinéma a paradoxalement su « prospérer » durant l’occupation, il est quasiment à l’arrêt depuis le débarquement de Normandie. Les pénuries, en particulier d’énergie, sont telles qu’il est impossible de travailler. Les installations techniques et beaucoup de salles de cinéma sont dans un état catastrophique. Et puis, surtout, les esprits sont ailleurs.
La Résistance – plutôt les Résistances – comporte des obédiences politiques très opposées. Il faut la création du Conseil National de la Résistance (CNR) pour les réunir. Sur le papier… Le Comité de Libération du Cinéma Français (CLCF) regroupe les professionnels résistants qui n’ont d’autres liens que leurs activités professionnelles, autour du Parti communiste principalement. Il est reconnu comme légitime par le CNR.
Au sein du Comité d’organisation du Cinéma français (le fameux COIC) installé par le gouvernement de l’État français à partir d’un projet né sous le Front populaire, de nombreux cadres et quelques dirigeants préparent également « l’après » en rejoignant certains réseaux de Résistance.
Dès les premiers jours de la Libération de Paris, ils sont « chassés » des locaux de la direction au 92 Champs-Élysées par les membres de CLCF. Ambiance…
Dans la foulée, le CLCF nomme Jean Painlevé comme directeur général de la cinématographie. Très tôt celui-ci prend conscience que les oppositions politiques entre les différents bords de la Résistance vont entraver son action. Afin de renforcer sa position, il décide de mettre en place un regroupement indépendant de professionnels de tous les secteurs dont le principal objectif sera de contribuer à faire redémarrer la machine Cinéma en proposant des solutions hors de tout dogmatisme.
Ce sera la Commission Supérieure Technique dont la création au 1er octobre 1944 est annoncée dans le premier numéro du journal du CLCF.
La CST s’installe au 12 rue de Lubeck, immeuble réquisitionné, précédemment occupé par la TOBIS, la société de distribution allemande. Une adresse qui va devenir un incontournable pour toute la profession…
Mais Jean Painlevé est pris en otage par la très difficile mise en place d’organismes capables de gouverner le pays au fur et à mesure du départ des troupes allemandes. Il faut se souvenir que le gouvernement provisoire de la République n’a été reconnu par les Alliés – qui ne voulaient ni des gaullistes, ni des communistes – que le 23 octobre 1944, c’est-à-dire APRÈS la création de la CST.
Après plusieurs mois de conflits, Jean Painlevé est remplacé par un haut fonctionnaire gaulliste.
Reste la CST qui, dans un mouvement de chassé-croisé avec la création du CNC, déménage au 92 Champs-Élysées, l’ancien siège du COIC…
Angelo Cosimano, président de la CST
Fred Orain et la création de la CST
« Souvenons-nous… 4 septembre 1944, il commençait tout juste à faire bon dans les rues de Paris enfin libre. Le Comité de Libération demanda à quelques-uns d’entre nous de tenter de constituer un organisme susceptible de résoudre les problèmes techniques qui se posaient à notre pauvre cinéma, délabré par quatre ans d’occupation. Ce jour-là étaient présents : Max Douy, Louis Page, Christian Matras, Jean Fourage, Jean Delannoy, Michel Commes, Léon Barsacq et moi-même ». [1]
C’est en ces termes que Fred Orain ouvre en 1969, pour la 25e reprise, le conseil d’administration de la CST, qu’il présida jusqu’en 1974. Si l’histoire de la CST est connue de celles et ceux qui sont passionnés par les techniques cinématographiques et audiovisuelles et leur évolution, la place que tient Fred Orain dans cette histoire mérite d’être partagée.
Fred Orain a occupé, toute sa vie durant, des postes à haute responsabilité avec pour credo la défense de la qualité du cinéma et l’amélioration de ses techniques. Les actions entreprises à la présidence de la CST cristallisent ces ambitions. Laissons la parole à deux de ses amis. Pour le décorateur Max Douy « Fred Orain a touché à tous les domaines et a été un moteur pour améliorer la qualité des techniques cinématographiques. » [2] Quant au journaliste et scénariste Rodolphe-Maurice Arlaud, il confirme en ces termes : « On le voit partout où il peut faire avancer cet art-industrie dont le destin est de s’améliorer et de se réinventer sans cesse. Orain fonce, innove, conduit, secoue, crée. » [3]
Installé dans le midi à la fin des années 1970, c’est là, au Cannet, que j’ai eu la chance de le rencontrer en 1993, alors étudiant en histoire et en histoire du cinéma à l’Université de Nice puis à celle de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Les nombreux entretiens que j’ai effectués avec Fred Orain, la consultation de ses archives privées, les témoignages recueillis ont constitué la matière d’un mémoire universitaire consacré à sa vie de cinéma, à ses engagements, à sa passion de la technique cinématographique. A 80 ans passés, il répondait à chacune des interrogations de l’étudiant d’à peine plus de 20 ans que j’étais, avec une précision intimidante. [4]
Fred Orain
Chaque conversation nous ramenait à la CST, à la stimulation intellectuelle que cette présidence suscitait en lui et à la satisfaction de constater que des convictions avaient pu se traduire en autant de projets concrets. C’est là, à la présidence de la CST, que sa passion de la technique et de l’innovation s’est clairement exprimée.
Passion ancienne, qui remonte à sa formation.
[1] Introduction du rapport moral présenté par Fred Orain, président de la CST, 1969.
[2] Extrait d’un entretien effectué par l’auteur de ce texte avec Max Douy effectué en mai 1996
[3] Extrait d’une lettre de Rodophe-Maurice Arlaud écrite à l’auteur de ce texte, en avril 1996
[4] Un résumé de ce mémoire universitaire est paru sous forme d’article dans la revue 1895, AFRHC, n° 23, décembre 1997
Se former, innover, transmettre
Né en 1909 à Bonnemain (Ille-et-Vilaine), fils unique de parents instituteurs, il se distingue dès l’école primaire par de brillants résultats. Son parcours est celui d’un surdoué : certificat d’études à neuf ans, baccalauréat à quinze, diplômé de trois écoles d’ingénieur à vingt (École Bréguet, Institut Électrotechnique de Grenoble, Supélec). En 1929, il est engagé par les laboratoires Standard ITT qui l’envoient à Ténérife où il est affecté dans un secteur dont il ignore tout : la radio. Sa tâche consiste à assurer techniquement les émissions de radio et à en améliorer la qualité de diffusion.
C’est véritablement en 1931 que Fred Orain commence sa longue carrière cinématographique, en intégrant le service Son des studios Paramount, où il participa successivement à l’enregistrement des versions multiples des films de fiction, à la sonorisation des bandes d’actualité, avant de devenir chef d’édition des Actualités Paramount, jusqu’en 1939. En juin 1940, il quitte Paris avec des camions d’enregistrement pour Tours puis pour Bordeaux avec l’espoir de continuer l’enregistrement des journaux, ce qui se révèle totalement irréalisable.
A la fin de l’année, il revient aux studios de Saint-Maurice où il est nommé ingénieur-conseil et quelques mois après, il en devient directeur technique. Ce rapide survol de ses années d’apprentissage souligne son ascension professionnelle, en cohérence avec ses brillantes études et les gratifiants résultats obtenus.
Aux derniers mois de l’Occupation, Fred Orain est considéré comme un des techniciens de tout premier plan, dont les compétences techniques sont reconnues de la profession. Ainsi, en 1944, lorsqu’il est question de créer un organisme appelé à remettre sur pied le cinéma français en s’occupant aussi des techniques cinématographiques, Fred Orain participe activement aux premières réunions qui aboutirent à la création de la Commission Supérieure Technique, qu’il présida pendant trente ans.
Trente ans à la présidence de la CST
Ces réunions sont présidées par M. Buron (secrétaire général du Comité d’Organisation de l’Industrie Cinématographique, le COIC, qui a précédé le CNC) et M. Riedinger de la Direction du Cinéma. Participent à ces réunions, notamment, Jean Vivié (alors chef du Contrôle Technique du Cinéma au sein du COIC) et Fred Orain. Ce dernier se souvenait que la dernière réunion eut lieu « alors qu’on pouvait entendre le roulement des convois militaires, c’était quelques jours avant la Libération ». Jean Painlevé, alors chargé de mission auprès du ministère de l’Information, propose la création d’une commission technique du cinéma français. Plusieurs techniciens du cinéma sont chargés de réfléchir à son fonctionnement, représentant différents secteurs : images, décoration, son, réalisation…. Parmi eux : Max Douy, Christian Matras, Léon Barsacq, Michel Commes, Louis Page, Jean Delannoy et Fred Orain. Cette commission a la difficile tâche de résoudre les problèmes techniques qui se posent au cinéma français au lendemain des quatre années d’Occupation. Le 8 septembre 1944, le premier bureau de la CST est né. Fred Orain en devient le président et Max Douy, le vice-président.
« Nous connaissions son passé technique et nous savions qu’il avait fait Supelec. Il a vite été élu président de cette fameuse CST. C’était un des meilleurs techniciens du son que l’on ait connu » précise comme une évidence Max Douy. [5]
Les difficultés qui se posent au cinéma français sont nombreuses (manque de courant électrique, de charbon, de pellicule, de matériaux de construction pour les décors…). L’ampleur des problèmes à traiter est telle que Fred Orain et les membres du Conseil d’Administration décident de former des sous-commissions de travail spécialisées qui couvrent plusieurs domaines : les laboratoires, la projection sonore, la couleur-relief, le studio prise de vues, le studio-décors, le montage, le son.
Dans des articles et conférences, Fred Orain défend l’idée que le cinéma français doit se doter d’une ossature technique efficace et il essaie d’intéresser les pouvoirs publics à ses travaux. La CST trouve très vite sa place au sein du CNC créé en 1946, rattaché au ministère de l’Industrie. L’article 7 du décret du 28 décembre 1946 relatif à la loi du 25 octobre 1947 portant sur la création du CNC stipule que « pour toutes applications d’ordre technique intéressant l’industrie cinématographique, le directeur général du Centre devra recueillir l’avis d’une Commission Supérieure Technique du Cinéma, dont la composition et les modalités de fonctionnement seront arrêtées par le ministre de l’Industrie et du Commerce. »
Le congrès de Turin en 1961 – Collection Fred Orain.
Dans ce cadre administratif, la CST trouve la forme juridique qui lui donne la liberté d’action et de discussion indispensable à son fonctionnement. Elle se constitue en association Loi 1901. Le 21 juin 1948, les statuts de la CST sont déposés. L’article 2 définit ainsi son objet :
« La Commission a pour objet des études, recherches, essais et réglementations intéressant la technique cinématographique dont l’examen lui sera demandé, soit par ses membres, soit par tout autre organisme officiel. »
Ainsi, quatre ans après l’élection du premier Bureau directeur, la CST possède une existence juridique bien définie et s’installe clairement et durablement dans le paysage cinématographique français.
[5] Extrait d’un entretien effectué par l’auteur de ce texte avec Max Douy effectué en mai 1996
Défendre la qualité
« L’ambition de la CST était de faire se rencontrer les membres des différentes professions qui composent le cinéma. Je voulais provoquer leur rencontre, parce que je pense que c’est le meilleur moyen pour enrichir ses connaissances, pour améliorer les techniques du cinéma et en découvrir de nouvelles. » [6]
Ces propos de Fred Orain prononcés en 1994 font écho à ceux publiés dans le Bulletin de la CST en 1960 : « (…) Donner l’exemple ! Sur le plan technique, bien sûr, puisque nous sommes techniciens. Démontrer qu’il est possible à employeurs et employés, usagers et constructeurs, patrons et ouvriers, de s’entendre. (…) Nous battre, non pour un intérêt individuel immédiat, mais pour que notre pays produise moins cher et surtout nous battre pour la défense, voire la promotion de la qualité. »
Afin de structurer les chantiers de la CST, Fred Orain propose des réunions, le lundi, consacrées exclusivement à la discussion entre le Comité directeur et les Commissions. Le Comité directeur, composé de six à douze membres, a pour tâche essentielle pendant ces réunions de fixer le plan de travail des sous-commissions et de les orienter vers les problèmes techniques d’actualité. Fred Orain débute chaque réunion par la lecture d’un courrier technique et partage des informations générales en provenance de France et de l’étranger. Ensuite la commission discute des sujets inscrits à l’ordre du jour.
Durant les vingt premières années de la présidence de Fred Orain, certaines innovations proposées par lui et les membres de la CST ont participé à l’évolution des conditions de réalisation de films ou de leur exploitation.
Citons-en quelques-unes :
L’équipement en pieds-grues et chariots convenant à l’exécution des mouvements de caméra, l’incidence des procédés à image large ou panoramique sur la conception des plateaux de prise de vues et le montage des décors, la définition des caractéristiques optimales d’enregistrement en liaison avec les caractéristiques de restitution dans les salles, l’introduction des pellicules à haute sensibilité pour prises de vues nocturnes, les problèmes d’équipement posés par la réalisation de certains effets spéciaux, les problèmes posés par l’agrandissement des écrans, la recherche des conditions optimales de tirage des copies destinées à être télévisées…
Max Douy nous avait expliqué qu’« il était difficile de dire précisément, rétroactivement, quelle personne avait eu l’idée de prioriser tel ou tel sujet. Était-ce Fred Orain, Jean Vivié, un directeur d’une sous-commission en lien avec d’ingénieux techniciens ? » Mais Max Douy affirmait que « Fred Orain était un président très présent, au courant de chaque initiative prise par les différentes commissions ».
Les souvenirs de Fred Orain recueillis durant les multiples entretiens effectués avec lui de 1993 à 1997 (Fred Orain est décédé en 1999), associés à la lecture des actes des colloques et des textes de conférences qu’il a assurés, nous permettent de souligner quels étaient ses chevaux de bataille, qui recouvraient à la fois des combats collectifs, et qui constituaient, lorsqu’ils étaient gagnés, de véritables motifs de satisfaction.
Citons-en deux, à commencer par le plus évident, le retrait du film nitrate en 1953, qui présentait deux principaux défauts majeurs : l’instabilité chimique et l’inflammabilité extrême. Il s’est également exprimé à plusieurs reprises sur le développement du cinéma en milieu rural. En septembre 1945, lors du Congrès international du cinéma de Bâle, il défend l’idée d’une expansion de l’exploitation en format réduit. Il évoqua à nouveau ce sujet dans les années qui suivent : « Si, chaque jour, un citadin sur quarante se rend au cinéma, seulement un paysan sur mille a droit au même plaisir. » Il recommande ainsi l’emploi du 16 mm parce que le matériel est plus léger et plus facilement transportable.
« … permettre au public des campagnes, à celui de hameau comme à celui de grosse bourgade, d’assister à des séances cinématographiques de qualité. » Pour cela, il propose « l’organisation de tournées par postes mobiles 16 mm sur voiture automobile. » Et il conclut ainsi : « Le format réduit peut guérir la France de cette cécité qu’est l’ignorance. Le cinéma ne peut rester éternellement et exclusivement sous les yeux de celui qui peut payer. L’écran réduit doit devenir le miroir du monde, plus exactement le miroir de l’Homme. »
Il a en outre critiqué l’utilisation des formats, à ses yeux, trop larges (2,5 x 1 ou 2,33 x 1) qu’il jugeait peu économiques en estimant leur apport esthétique limité. Il a également défendu la qualité de la diffusion des films sur le petit écran de la télévision, grâce à un meilleur transfert des films de cinéma.
Dans le prolongement de la création de la CST, Fred Orain émet l’idée, au début des années cinquante, de créer une association réunissant les techniciens internationaux dans le but d’encourager la coopération internationale de ses membres. En septembre 1957, les statuts de l’Union Internationale des Associations Techniques sont déposés. Fred Orain en devient président. L’Uniatec a connu son heure de gloire au plus haut de la Guerre Froide en se tournant vers les pays de l’Est, permettant ainsi aux techniciens travaillant de l’autre côté du Mur de ne pas être isolés.
Cette liste de projets, d’actions, de combats collectifs est naturellement loin d’être exhaustive. Elle nous renseigne en parallèle sur le parcours de Fred Orain qui, tout en étant président de la CST, a mené aussi une carrière de producteur.
Où l’on se rend compte que son quotidien à la CST nourrissait celui de producteur. Et inversement.
[6] Extrait d’un entretien effectué par l’auteur de ce texte en avril 1994
Fred Orain, producteur
Interlocuteur privilégié des pouvoirs publics en tant que président de la CST, cette place lui permet d’étendre son rayon d’action et de multiplier ses postes de représentation. La défense de la qualité technique du cinéma est à rapprocher d’une autre de ses constantes : la production de courts-métrages. S’il a produit seulement une dizaine de longs-métrages (Premières armes de René Wheeler en 1950, Vire vent et La Parole est aux témoins de Jean Faurez – respectivement en 1948 et en 1962 – qui était un membre actif de la CST), ce sont plus de 500 courts-métrages qui ont vu le jour sous le nom de ses deux sociétés de production : Cady Films à partir de 1946 et surtout Armor Films à partir de 1948, qu’il nomme ainsi en souvenir de sa Bretagne natale. Aux génériques de ces courts-métrages, on retrouve des membres actifs des débuts de la CST, citons notamment Louis Page à la photographie et Roger Cosson au son.
Signalons qu’en 1953, il devient également président du Groupe des Trente, réunissant des cinéastes et professionnels du cinéma sensibles au court-métrage, dont la principale revendication était l’obligation du passage d’un court-métrage dans les cinémas en avant-programme. De même, il est très attaché à une idée forte : le remplacement d’une aide financière automatique attribuée aux sociétés de production de longs-métrages ayant connu des succès en salles, par une aide sélective s’appuyant sur la qualité des courts-métrages proposés. Fred Orain apporte au Groupe des Trente sa connaissance des rouages des ministères de tutelle, son expérience de producteur, son sens oratoire et sa connaissance des enjeux techniques et de leurs évolutions rapides. [7]
Avant de devenir producteur à partir de 1946, il avait occupé le poste de directeur de production pour la société de production d’André Paulvé, Discina, et a donc travaillé pour Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du paradis (1944) de Marcel Carné, La Belle et la bête de Jean Cocteau (1946), La Chartreuse de Parme de Christian-Jaque (1947), Sylvie et le fantôme de Claude Autant-Lara (1945) où il a rencontré Jacques Tati.
La Belle et la Bête – Jean Cocteau
Fred Orain a toujours souligné le souci de la qualité technique des films courts qu’il a produits et a manifesté la même exigence dans la diffusion de ces films. Producteur des premiers films de Jacques Tati, c’est certainement dans son acharnement pour que Jour de fête (1947) soit tourné en couleurs, qu’on retrouve son sens de l’innovation et son désir manifeste que cela se sache. Il souhaitait offrir au cinéma français son premier film tourné sur pellicule couleur. L’histoire des couleurs de Jour de fête a été parfaitement décrite par François Ede [8]. Soulignons seulement combien Fred Orain a été à l’initiative de ce pari fou, d’enregistrer le film en couleurs, avant même d’avoir l’assurance qu’il sera possible de le traiter en laboratoire.
Pendant trois décennies à la présidence de la CST, l’ambition première de Fred Orain aura été le maintien de la qualité et de l’innovation. Il a multiplié les initiatives pour améliorer l’enregistrement des films, sans négliger leur découverte par les publics, dans les salles de cinéma, fixes ou itinérantes.
Bien qu’il gardât une certaine amertume de son départ, après trente ans de présidence, l’activité à la tête de la CST était sans nul doute sa plus grande fierté :
« Quand je jette aujourd’hui un œil rétrospectif, je constate qu’il y a eu une part de vanité dans ma vie car en vérité j’aimais bien faire des conférences, des exposés, avoir un auditoire. Mais ce dont je suis le plus fier, est d’avoir passé ces trente années à la présidence de la CST et qu’elle soit devenue une commission qui se batte pour défendre la qualité technique du cinéma. » [9]
Karim Ghiyati, Directeur d’Occitanie Films
[7] Pour en savoir plus sur le Groupe des Trente, lire l’article de Luce Vigo paru dans la revue Bref, numéro 20
[8] François Ede, Jour de fête ou la couleur retrouvée, Cahiers du Cinéma, 1995
[9] Extrait d’un entretien effectué par l’auteur de ce texte en avril 1994
Les autres fondateurs de la CST
Outre Fred Orain, le premier bureau de la CST, pouvait compter sur trois autres noms et pas des moindres : Max Douy (vice-président), Léon Barsacq (secrétaire) et Pierre-Louis Calvet (secrétaire adjoint) sans oublier Jean Painlevé, alors chargé de mission auprès du ministère de l’Information, qui impulsa l’idée de créer une commission technique du cinéma français. Respectivement chefs décorateurs, ingénieur du son et réalisateur, ils ont contribué avec Fred Orain à définir les grandes lignes de la CST.
Max Douy
Né en 1914 à Issy-les-Moulineaux, Max Douy entre dans le monde du cinéma d’abord par nécessité. Ayant appris le dessin à l’école, il interrompt ses études à l’âge de seize ans pour subvenir aux besoins de sa famille. Il est alors embauché au studio Pathé-Nathan à Joinville-le-Pont où il sera affecté au relevé du contenu du magasin de décors, dont il doit dessiner et coter les éléments entreposés. Il devient assistant décorateur, notamment avec les frères Prévert. Mobilisé durant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint la Résistance en 1940 sous l’impulsion de Jean-Paul Dreyfus. Avec la reprise de l’activité cinématographique en 1941, Max Douy retourne à son métier et devient chef-décorateur en 1942. Il collabore avec de nombreux grands réalisateurs, comme Jean Renoir, Max Ophüls, Jacques Becker, Jean Grémillon, Robert Bresson, Henri-Georges Clouzot ou encore Claude Autant-Lara avec qui il travaillera le plus.
Poursuivant son activité dans la Résistance, il participera à la fondation du Comité de libération du cinéma français (CLCF) et par extension de sa branche technique, la CST, dont il assurera la vice-présidence. Après-guerre, Max Douy est vice-président du Syndicat des techniciens de la production cinématographique en 1950 et 1952. Devenu un chef décorateur de renom, Max Douy associe son nom à celui d’autres grands du cinéma comme Julien Duvivier, André Hunebelle, Robert Enrico, Jean-Paul Rappeneau, Jean-Jacques Annaud ou encore Costa-Gavras. Il signera également les décors de Moonraker de Lewis Gilbert, l’aventure spatiale de James Bond en 1979. Récompensé en 1949 au Festival de Cannes pour les décors d’Occupe-toi d’Amélie de Claude Autant-Lara, il recevra également le César des meilleurs décors pour Malevil de Christian de Chalonge en 1982.
Outre le cinéma, il réalise de nombreux décors pour la télévision et le théâtre avant de prendre sa retraite en 1988. Cinq ans plus tard, il publiera le livre Décors de cinéma : les studios français de Méliès à nos jours aux éditions du Collectionneur. Fait officier de la légion d’honneur en 1991, il s’éteindra le 2 juillet 2007 à l’âge de 93 ans.
Jean Painlevé
Né en 1902, Jean Painlevé se destine d’abord à des études de médecine avant de finalement se diriger vers la biologie. Passionné dès son plus jeune âge par la photographie et par extension le cinéma, il y fait une entrée d’abord en tant qu’acteur en jouant aux côtés de Michel Simon dans le film inachevé de René Sti, L’Inconnue des six jours en 1926. Il réalise ensuite des séquences filmées pour la pièce de théâtre Mathusalem d’Ivan Goll où il joue aux côtés d’Antonin Arno. En 1932, il signe le scénario du Café bon accueil que devait réaliser Jean Vigo avec qui il nouera une amitié sincère. Mais c’est avant tout dans le cinéma scientifique – domaine dont il est considéré comme l’un des pères fondateurs – que Jean Painlevé se fera un nom.
Cinéaste et biologiste spécialisé dans la prise de vue sous-marine, Jean Painlevé a réalisé près de deux cents films. A partir de 1927, il s’intéresse de près au monde sous-marin auquel il consacre de nombreux films comme Oursins, La Daphnie et surtout L’Hippocampe en 1934 que Pathé sonorise pour le projeter dans ses cinémas. Précurseur, il met en place des techniques inédites de prises de vues micro cinématographiques. A la lisière entre le documentaire et l’artistique, la filmographie de Painlevé fascine par la richesse des milieux qu’il a filmés, l’hypnotisante étrangeté qui s’en dégage, tout cela avec une rigueur et une créativité dans les dispositifs mis en place qui forcent aujourd’hui encore le respect.
Esprit libre, ami de Man Ray, Fernand Léger ainsi que d’Alexander Calder, il est vigoureusement réfractaire à l’idée même de chapelles qui peut régner au sein de l’industrie cinématographique. Investi dans la lutte antifasciste, il rejoint la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale et réalise Le Vampire en 1945, court-métrage documentaire, mais surtout parabole sur l’esprit de prédation. A la fin de la guerre, il est représentant du Comité de libération du cinéma aux côtés de Grémillon, Becker et une douzaine d’autres réalisateurs. En 1944, il est nommé directeur général du Cinéma Français (futur CNC). C’est à cette époque qu’il impulse l’idée de créer une commission technique du cinéma français qui deviendra la CST. À partir de 1972, il enseigne les techniques du cinéma à l’Université Paris 8 avant de décéder en 1989.
Léon Barsacq
Fils d’un père ingénieur agronome français et d’une mère issue d’une famille d’exilés politiques russes, Léon Barsacq quitte sa Crimée natale où il a vu le jour en 1906 pour la France, suite au décès prématuré de son père. C’est à Paris qu’il entreprendra des études artistiques en intégrant l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, section architecture en 1922. Il y développera notamment un fort intérêt pour le théâtre et en particulier la section russe du Théâtre de l’Exposition internationale de 1925. Avant de devenir l’un des premiers grands chefs décorateurs du cinéma français, Léon Barsacq a démarré sa carrière comme assistant de Robert Ghys puis de son frère André Barsacq, de deux ans son cadet, également connu comme chef décorateur. En 1938, Jean Renoir lui confie les décors de son film La Marseillaise. Si Barsacq n’en est pas à son coup d’essai (il a notamment signé les décors de Yoshiwara de Max Ophuls), cette collaboration avec Renoir lui permet d’affiner son style et d’attirer l’œil de grands cinéastes, de Marcel Carné (Les Enfants du Paradis, Trois Chambres à Manhattan) à Julien Duvivier (Pot-Bouille, Diaboliquement vôtre) en passant par Henri-Georges Clouzot (Les Diaboliques) et René Clair dont il signera les décors de tous les films depuis Le Silence est d’or en 1947 jusqu’aux Deux pigeons en 1962. C’est en 1962 justement qu’il sera nommé aux Oscars pour Le Jour le plus long conjointement réalisé par Ken Annakin, Andrew Marton, Darryl F. Zanuck et Bernhard Wicki. En 1968, il quitte les plateaux de cinéma avec Phèdre de Pierre Jourdan. Il signera ensuite l’ouvrage de référence Le Décor de film : 1895-1969, préfacé par René Clair et s’éteindra le 23 décembre 1969 dans son domicile parisien.
Pierre-Louis Calvet
Ingénieur du son de renom, Pierre-Louis Calvet (ou Pierre Calvet) a traversé près de quarante ans de cinéma français. Il se fait un nom en 1934 grâce à Jofroi de Marcel Pagnol puis continue sur sa magnifique lancée. Sa filmographie compte ainsi des œuvres aussi mémorables que Sans lendemain de Max Ophuls en 1940 – les deux hommes réitéreront l’expérience sur les magnifiques La Ronde et Le Plaisir en 1950 et 1952 – Orphée de Jean Cocteau (1950), Et Dieu… créa la femme de Roger Vadim (1956), Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais (1959), Le Trou de Jean Becker (1960), Austerlitz (1960) d’Abel Gance, La Guerre des boutons (1962) d’Yves Robert ou encore J’irai comme un cheval fou de Fernando Arrabal en 1973. Un parcours riche, éclectique qui inscrit définitivement Pierre-Louis Clavet dans la grande histoire du cinéma français dont l’un des chapitres les plus notables reste son passage à la CST en tant que secrétaire adjoint, poste qu’il occupa dès la création de l’association.
Ilan Ferry, rédacteur en chef de la Lettre
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