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Filmer en huis-clos : entretien avec Yves Angelo, chef-opérateur de Police
Avec Police, la réalisatrice Anne Fontaine s’est essayée à un genre nouveau pour elle : le polar. Un défi pour la cinéaste, mais également pour son chef- opérateur, Yves Angelo, qui la suit depuis Marvin ou la belle éducation en 2017 et nous raconte son expérience sur le film.
Comment vous êtes-vous affranchi de la contrainte du scope ?
YA : Nous nous sommes déjà demandé si nous allions filmer en « conditions réelles », c’est-à-dire de nuit sur une voiture travelling, ce qui aurait donné un résultat différent en termes de sensations. Très vite cette idée a été abandonnée et nous avons décidé de filmer en studio. Cela impliquait l’utilisation d’un fond vert et de recréer totalement les lumières et leurs mouvements afin de donner l’illusion que la voiture était réellement en train de rouler dans les rues en pleine nuit. Un tel dispositif posait forcément un certain nombre de problèmes, notamment en termes de raccord puisque les effets de lumières ne pouvaient être d’un synchronisme absolu d’un plan à l’autre. S’est également posé la question de savoir si on s’orientait vers du naturalisme pur ou vers quelque chose de plus « personnalisé » qui nous permettait de faire un peu ce qu’on voulait en termes de travail sur les lumières, de fréquence, etc. Toutes ces questions ont jalonné la préparation. Généralement, ce type de questions se résolvent d’elles-mêmes par les conditions de tournage ou par les acteurs puisqu’il est difficile d’anticiper une ambiance en fonction de ce que les comédiens vont exprimer devant la caméra. Au départ, j’aurais préféré filmer en transparence, avoir les fonds sur le plateau et faire tout le film comme ça. Cela demandait une gymnastique de découpage, de contraintes et de rigueur absolue d’un plan à un autre. Nous n’avons pas retenu cette solution car Anne Fontaine trouvait ce dispositif beaucoup trop contraignant. On a donc opté pour un tournage en fond vert avec des lumières de studio, un travelling… Nous aurions très bien pu tourner en direct dans la voiture de nuit, en filmant directement à l’intérieur de celle-ci sans travelling et opter pour des codes de lumières dits « naturalistes ». Bien entendu cela aurait impliqué un certain nombre de contraintes, comme ne pas avoir de plan d’ensemble de la voiture, de filmer les personnages seulement en trois-quarts dos ou de profil, de face pour l’arrière, mais jamais de dos, d’être dans une position naturelle. La logique a toujours rassuré en lumière, je n’ai jamais compris pourquoi.
Vous avez vu le fond vert comme une contrainte ou un défi ?
YA : Les défis ne m’intéressent pas du tout. Je n’ai jamais été un passionné de technique. Lutter contre le réel c’est aussi lutter contre une certaine forme de confort. Ce n’est pas pareil de filmer une voiture de nuit dans le froid en hiver que de filmer en studio. On ne sent pas les mêmes choses, on n’a pas les mêmes vibrations. La seule contrainte venait de la taille du studio. Le seul problème des fonds verts c’est lorsqu’ils sont trop près, il faut de très grands studios pour qu’ils soient parfaits, qu’il n’y ait absolument aucun retour de vert pour les acteurs. On ne peut pas éclairer le fond vert et lutter contre la lumière qu’il renvoie sur les acteurs. Cela arrive souvent quand le studio n’est pas suffisamment grand : on se retrouve à devoir couper les lumières. Il y a toujours ce déficit de situations qui ne sont pas idéales techniquement. J’essayais d’être toujours en adéquation avec l’action de la séquence.
Le fait de pallier l’artificialité du fond vert a dû conditionner vos choix de lumières, de caméras…
YA : Nous tournions en scope, donc des plans le plus souvent en 300 ou 400 mm, ce qui était assez bizarre pour les gros plans. D’autant que j’utilisais une caméra Red Monstro avec de très gros capteurs. Nous avons été obligés d’allonger les focales. Cela s’est révélé avantageux lorsque nous tournions des plans larges des quatre personnages. Généralement ces plans sont filmés avec de courts foyers, ce qui donne l’étrange impression que la voiture est énorme pour la personne se trouvant sur la plage arrière comparativement à celle ou ceux qui se trouvent à l’avant. Le gros capteur nous permettait de filmer des plans très larges en 50 mm sans avoir ce défaut de perspective inhérent aux courts foyers.
Lutter contre le réel c’est aussi lutter contre une certaine forme de confort. Ce n’est pas pareil de filmer une voiture de nuit dans le froid en hiver que de filmer en studio.
Qu’est-ce qui vous a plu dans Police ?
Yves Angelo : Ce qui me pousse à accepter tel ou tel projet ne se pose jamais vraiment en ces termes. Police est le troisième film que je faisais coup sur coup avec Anne Fontaine après Marvin ou la belle éducation et Blanche comme neige. Le rapport est forcément différent quand un metteur en scène vous redemande de travailler avec lui. Donc je ne vais pas vous répondre que j’ai été emballé par le projet ; cette façon de surenchérir le plaisir, le désir, cela n’a pas d’importance ici. Quand on est sur un projet on essaie d’y apporter sa sensibilité en fonction de celle du metteur en scène avant tout. Soit on est d’accord avec la thématique d’un projet, les questions qu’il soulève et comment il les résout, soit on est intéressé par le style à adopter et la caractérisation de la scénographie, de la mise en scène, donc de la photographie. On essaie d’établir la plus grande cohérence possible entre la source de départ et sa concrétisation visuelle. Le plus souvent, il y a un écart entre ces deux pôles, mon rôle est de rendre cet écart le plus étroit possible.
Quel a été votre plus gros défi sur ce film ?
YA : Le tournage a duré huit semaines. Une partie de l’action du film se déroule dans une voiture. S’est donc posée la question de modifier les plans afin d’avoir un autre passage à l’intérieur de la voiture ou au contraire de jouer avec les codes de filmage d’une voiture. Soit on conservait les normes telles qu’elles sont ancrées dans la mémoire collective des spectateurs, à savoir ces milliers de plans interchangeables de voitures qu’on a pu voir au cinéma jusque-là, soit on essayait d’établir autre chose avec évidemment tout ce que cela entraîne comme processus et positionnements de caméras. À partir de ce moment-là, il fallait voir ce qu’il était possible ou non de faire. Allait-on placer la caméra à la place du pare-brise ? Du coffre ? D’une fenêtre ? À cela s’ajoutait le fait qu’Anne Fontaine voulait tourner son film en scope, ce qui n’est pas tout à fait adapté au filmage d’une voiture. Il a fallu faire converger et surtout rendre cohérents tous ces paramètres.
Retrouvez l’intégralité dans le numéro 175 de la Lettre de la CST.
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