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Une « french touch » des effets visuels

Mar 21, 2024

Guillaume Rocheron

De Paris à Los Angeles en passant par Londres, entretien avec le superviseur VFX Guillaume Rocheron. Récompensé par un Génie d’honneur pour sa carrière au Paris Image Digital Summit 2024, Guillaume Rocheron a collaboré à des projets aussi différents que 1917 ou Life of Pi, pour lesquels son travail a été reconnu par un Oscar, ou encore La Vie rêvée de Walter Mitty, Ghost in the Shell ou Ad Astra. Sur son chemin, il aura croisé les baguettes et le quidditch d’Harry Potter, les créatures imaginaires de Percy Jackson ou Godzilla et quelques super-héros… Oscillant entre des univers et des collaborations avec des réalisateurs très différents (James Gray, Alejandro Gonzalez Iñárritu, Jordan Peele, Ang Lee…), Guillaume Rocheron revient ici sur sa carrière, qui a débuté en France au sein de la BUF Compagnie avant de faire, littéralement, le tour du monde.

Comment as-tu commencé à t’intéresser aux images de synthèse ?

Guillaume Rocheron : Au tout début, au lycée, j’ai commencé par écrire des histoires, et je me suis retrouvé à écrire un scénario pour un jeu vidéo. Et puis, j’ai rencontré des artistes qui m’ont fait des illustrations, des programmeurs qui me faisaient des petites démos, qui m’aidaient, en gros, à assembler ce jeu.

Et c’est comme ça que j’ai découvert le monde des « computer graphics », enfin, des images de synthèse. Ça m’a absolument fasciné, parce que c’est vrai que j’ai toujours été attiré plus par la photo que par le dessin par exemple ; je faisais de la photo depuis mes 12 ou 13 ans et, d’un certain côté, l’image de synthèse ressemblait un peu à de la photographie. Mais dans ma famille, on n’était pas du côté de l’image, ça ne me semblait pas possible en fait d’y travailler.

Tu as pourtant commencé par faire tes premiers films seul chez toi ?

G. R. : Oui, j’ai commencé à faire des images comme ça, à créer des courts-métrages dont un a remporté un prix dans une catégorie indépendante en marge du festival Imagina. Et c’est comme ça que BUF m’a contacté. J’avais 17 ans… Et c’est marrant parce qu’au début, je ne savais pas ce que c’était BUF, en fait. Ils m’envoient un mail, c’était au tout début d’internet, mais j’étais encore au lycée, je ne cherchais pas de travail, donc je n’ai pas vraiment réagi… Et, quelques semaines après, je vois le making of de Fight Club de David Fincher, puis je vois BUF en bas à droite de l’image… et tout à coup, j’ai connecté les pièces ensemble ! Je leur réponds et là BUF a été super avec moi ! Ils m’ont dit : « bon voilà, on sait que tu as 17 ans, que tu vas passer ton bac, que tu veux certainement aller à l’école, prends ton temps, et viens travailler avec nous quand tu veux. »

Et tu vas donc mélanger école et travail ?

G. R. : Alors je passe mon bac d’abord et puis je fais une prépa artistique à Paris et je rentre à l’école Georges Méliès qui était en deux ans à l’époque. Là aussi, c’étaient les tout débuts, c’était la deuxième promotion ! J’ai appris beaucoup à l’école parce que c’était tout ce que je ne connaissais pas en fait, vu que j’étais complètement autodidacte. Je n’avais pas besoin de travailler sur un ordinateur, j’avais besoin d’apprendre le reste, d’apprendre à regarder des images, à faire de la sculpture, comprendre un petit peu l’art de manière différente. Et pendant toutes les vacances, j’étais à la BUF sur des films, sur des pubs… Et comme j’étais sur des productions directement, j’apprenais beaucoup ! C’était vraiment une période intéressante parce qu’à l’époque, la BUF était encore toute petite, on était à peine une trentaine de personnes. Après l’école, j’ai travaillé à temps plein à la BUF, jusqu’en 2005, et c’était aussi une école incroyable !

Comment ton intégration chez BUF s’est-elle passée ?

G. R. : Au début, il y avait très peu de personnes, et c’était assez magique de les voir travailler sur The Cell de Tarsem Singh, des publicités ou des projets révolutionnaires à l’époque, avec des artistes comme David Fincher, Michel Gondry, Oliver Stone qui venaient y chercher une créativité particulière. Ce qui était très marquant pour moi c’était la philosophie BUF, l’approche qui était développée là-bas pour faire les images de synthèse, et qui était vraiment poussée par Pierre Buffin. Au-delà du fait qu’ils avaient, et ont toujours d’ailleurs, leurs propres outils propriétaires, chaque artiste était chargé d’une partie du film, et faisait tout de A à Z. Il y avait un savoir-faire qui n’était pas uniquement technique. Certes, il fallait avoir ce savoir de base, mais avant tout c’était un savoir-faire de l’image. Bien sûr il y avait la technologie derrière, mais c’était toujours un peu secondaire ; on se demandait avant tout ce qu’on essayait de faire, et donc comment faire fonctionner notre technologie avec cet objectif ? Et après, avec ce système propriétaire qui était vraiment ouvert, on passait deux ou trois semaines à coder pour arriver à remplir nos besoins. BUF était réputé pour réussir à conceptualiser des choses qui souvent n’étaient pas conventionnelles. Quand on a fait Matrix Reloaded des sœurs Wachowski ou Batman Begins de Christopher Nolan, c’était toujours un peu des effets tordus, des manipulations d’images, de perspective…

Et comment as-tu progressé dans cet environnement ?

G. R. : J’ai commencé sur les toutes premières tâches, comme modéliser quelques objets pour Panic Room de David Fincher pour la séquence où l’on passe à travers la lampe dans la chambre et les barreaux d’escalier. Après j’ai commencé à faire de la rotoscopie sur une pub pour Airbus des frères Poiraud avec une caméra qui remonte du centre de la Terre jusqu’au ciel. Quand on est mis directement sur des plans, ça oblige à se poser beaucoup de questions : comment est-ce que tu détournes une image, comment est-ce que tu construis une image ? Ils donnaient vraiment leur chance aux jeunes de faire quelque chose alors qu’aujourd’hui, quand vous arrivez dans une boîte de 500 personnes, vous êtes un jeune parmi d’autres…

Retrouvez l’intégralité de l’entretien de Guillaume Rocheron recueilli par Réjane Hamus-Vallée dans la Lettre n°186.

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