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Un métier au contact de tous les autres : la supervision des effets visuels, vue par Roxane Fechner
Bercée par le cinéma dès son plus jeune âge à travers les films de son oncle, le célèbre producteur Christian Fechner, et de son père acteur dans le groupe des Charlots, Roxane Fechner s’est illustrée dans différents métiers du tournage et de la production avant de tomber un peu par hasard dans le monde des effets visuels. Son parcours atypique lui apporte un regard global, nourri par ses expériences diversifiées, entre grosses productions internationales (Retribution de Nimród Antal, Roleplay de Thomas Vincent, Le Discours de Laurent Cantet, Hors Normes d’Eric Toledano et Olivier Nakache, Coutures d’Alice Winocour…) et films plus intimistes, au sein d’un engagement au service de la reconnaissance des VFX français en général, et de la place des professionnelles dans le milieu en particulier. Rencontre avec une superviseure et productrice VFX hors du commun, à l’occasion de la remise d’un Génie d’honneur pour sa carrière lors du Paris Images Digital Summit de janvier 2025…
Tu as baigné tôt dans le monde du cinéma, et pourtant, tu ne voulais surtout pas y travailler initialement…
Roxane Fechner : En fait, il y avait trop de cinéma autour de moi. Donc ma vie, c’était déjà une sorte de fiction. Je voulais aller explorer autre chose, mais je me suis fait complètement piéger par Les amants du Pont-Neuf de Leos Carax. C’était fabuleux. Le gigantisme de ce décor, c’était incroyable. J’étais à Montpellier, je franchissais une barricade de chantier et j’arrivais au Pont-Neuf. C’était dingue. Et puis ça m’amenait à autre chose, ça sortait un peu des Charlots ou des productions de comédies auxquelles j’avais assisté. Et c’est quelque chose qui m’a plu énormément. Cette séquence de feu d’artifice sur le Pont-Neuf ! Quel éblouissement ! Tout ça, c’est la magie du cinéma et de tous ses métiers, de tous ses techniciens, ses artistes.
C’est ce qui t’a donné envie d’aller tester différents métiers ?
R. F. : Effectivement, c’est vraiment ce qui m’impressionne depuis le début. C’est pour ça que je continue, devant ou derrière la caméra, parce que tous ces métiers me touchent beaucoup, surtout tout ce qui est artisanal, et bien sûr le tournage. Plus j’avance, plus j’ai l’impression que j’ai à apprendre, c’est un drôle de chemin et ça te garde vraiment au bon endroit dans l’humilité.
Et donc comment as-tu commencé à travailler pour le cinéma ?
R. F. : Je me suis retrouvée dans l’équipe décoration, ayant mené des études du côté de l’architecture. Je me suis mise à faire des objets, de la sculpture, du moulage. En fait, c’est comme si le cinéma te permet de mettre en œuvre tout ce que tu as en toi. Donc même aux accessoires ou à la décoration, tu peux t’impliquer énormément. Il n’y a pas de limite à l’investissement. Et c’est ce que je trouve magique.
Est-ce qu’il y a des films qui t’ont marquée au début ?
R. F. : Le premier film, c’était le plus beau film pour moi, c’était Elisa de Jean Becker avec Vanessa Paradis, mais aussi Gérard Depardieu, ce qui en fait l’un des plus durs. J’avais à peine 18 ans, j’ai eu ce premier choc de ne pas comprendre comment on pouvait me mettre à l’épreuve si jeune, comme si tout cela était logique et normal. Je n’en avais pas vraiment conscience avant, mais ça fait quelques années que j’apprends à décrypter et bien évidemment à agir, je me suis formée pour être référente VHSS… Après Elisa, j’ai aussi travaillé sur d’autres tournages de Christian Fechner, Un amour de sorcière de René Manzor et Une chance sur deux de Patrice Leconte. Ensuite, je suis partie explorer d’autres choses.
Tu y as aussi rencontré les effets spéciaux – et le pionnier Christian Guillon…
R. F. : Oui, dès 1996, sur Un amour de sorcière, Christian était encore chez Ex-Machina, c’était un beau projet avec aussi beaucoup de SFX, en direct sur le plateau, une équipe de vrais magiciens ont apporté leur savoir-faire sur place. C’était féérique ! Tous les moyens d’obtenir l’effet en direct ont été déployés. Ça m’a paru logique et, depuis, j’ai toujours cette approche. Je sais tout le mal que peut faire le « on verra ça en post-prod ». Je travaille au plus proche avec l’équipe caméra et tente d’obtenir le maximum d’éléments in situ. Je ne suis pas une geek d’effets spéciaux, mon approche est de les utiliser comme un médium absolument génial, celui qui me permet justement de travailler avec tous ces différents métiers que j’adore, du scénario, de la pré-production, du tournage à la post-production, mettre en images des idées des émotions en accompagnant le point de vue de la mise en scène dans la cohérence de la production.
Justement, puisque tu ne viens pas d’une expérience de graphiste, comment t’es-tu formée à la supervision des effets visuels ?
R. F. : Après mes trois premiers films à la déco j’ai produit un court-métrage, en pellicule, et mon manque de connaissance en post-production m’a frustrée et poussée à demander à Éclair Numérique de faire un stage, afin de me former et être en mesure de comprendre les demandes de ces métiers que je ne connaissais pas, par respect pour mes interlocuteurs. Catherine Adar, directrice de post-prod, m’avait suggéré de le demander au département numérique qui venait juste d’être mis sur pied. Je ne la remercierai jamais assez pour son précieux conseil. Finalement, mon stage a duré 11 ans… Grâce au laboratoire, nous avions une diversité de films incroyable aux effets visuels. Nous avions les machines le plus haut de gamme possible au début des années 2000. Éclair avait fait un gros investissement chez Discreet, il était vraiment précurseur. À ma toute première réunion, je n’ai capté qu’un mot, c’était « patate ». Un cache-patate. Mais je ne savais pas à quoi ça servait. À la fin de la réunion, je suis allée voir quelques graphistes, je leur ai demandé de m’expliquer, je ne souhaitais pas que « potiche » soit mon métier ! Je garde des amitiés et des souvenirs magnifiques de ces années.
Et donc tu as commencé à t’occuper des effets chez Éclair, à une époque où tout était à inventer…
R. F. : Nous avions le must, des outils du type Flame/Inferno et smoke. Ils étaient toujours à l’avance chez nous, puisqu’on avait la chance d’avoir deux bêta-testeurs pour Discreet, Philippe Soeiro et Arnaud Chelet. Mais à chaque projet, on devait inventer… Par exemple, sur Le Pianiste de Roman Polanski en 2001, nous avions à ajouter de la buée pour toute une séquence de dialogue de nuit sous la neige. La 3D n’était pas un choix judicieux à l’époque, trop périlleux ; nous avons opté pour tourner ces éléments. Mes compétences en tournage aidant, j’ai loué un frigo de 40 m2 en face du laboratoire. On a tout borniolé, avec comédien cagoulé tout de noir vêtu, les répliques du film apprises par cœur, ma vraie première journée, celle qui m’a fait comprendre que mes connaissances pouvaient être utiles. Nous étions sept techniciens à retourner exclusivement la buée pour pouvoir l’intégrer. Et il fallait synchroniser la buée avec le jeu des acteurs, j’avais donc une mixette sur le plateau, pour m’assurer que tout ça collait bien, si on était dans le bon axe, dans le bon timing, etc. J’ai adoré.
Tu as alors pu devenir superviseure…
R. F. : Très vite, j’assistais à des réunions, avec des effets dont je voyais parfois les incohérences. Peu à peu, je me suis permise de parler de perspective ou d’éclairage, grâce à mes notions de l’école d’art et d’architecture. Et un jour, d’une semaine sur l’autre, on m’a envoyée en Roumanie, sur Banlieue 13 de Pierre Morel, pour ma première supervision, avec Europacorp. Une manière de produire super rock’n roll. J’ai dû m’imposer dès ce premier film, j’avais une mission, je devais revenir avec mes éléments, alors oui, j’ai appris à me faire entendre et heureusement le plus souvent, respecter.
C’est vrai que ma première supervision, ça a été fou, c’était extrêmement excitant et hyper challengeant. Parce qu’en fait, on est rentré du tournage de Roumanie, on avait encore deux à trois semaines de tournage à Paris. Et le film était déjà annoncé en salle un mois et demi plus tard, énorme pression. Ça fait partie des années où je pense que je travaillais un minimum de 15 heures par jour, 6 jours sur 7 minimum, nous avions trois équipes par jour, les VFX en 7/7 et 24/24 !… C’était fou, j’étais vraiment dedans, avec les projets en tête en permanence, soutenue par tout Éclair, j’ai adoré ! Je crois que la vie d’un laboratoire, c’est d’être confronté à l’impossible, à l’envie de nouveau, à la nécessité d’aller chercher toujours plus loin… Éclair, maintenant, j’ai tendance à le voir comme un seul et même projet, finalement, parce que ça s’est très peu arrêté entre les projets.
L’intégralité de l’entretien de Roxane Fechner recueilli par Réjane Hamus-Vallée dans La Lettre n°190 est accessible aux membres de la CST
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