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L’intelligence artificielle dans l’exploitation et la distribution cinématographique : état des lieux, usages, outils et perspectives

Le secteur cinématographique connaît une mutation profonde sous l’effet combiné de la numérisation, de l’industrialisation de la donnée et de l’introduction de l’intelligence artificielle (IA). Bien qu’encore émergente, cette dernière trouve toutefois des applications concrètes dans les secteurs de l’exploitation et de la distribution cinématographique… tout en offrant un certain nombre de perspectives qui devront être surveillées et régulées.
De la donnée à l’intelligence artificielle : mutation du secteur
Depuis deux décennies, la collecte de données quantitatives (fréquentation des salles, préférences par territoire, performance des œuvres, retours marketing) s’est imposée comme un élément stratégique pour l’aide à la programmation, la gestion de l’offre et l’optimisation des plans de sortie. Ces informations proviennent des exploitants, distributeurs, du CNC et de partenaires multiples et servent aujourd’hui de socle à l’IA pour modéliser les dynamiques spectateurs, estimer les affluences, personnaliser les campagnes marketing et automatiser certains arbitrages programmatiques. La Data Science reste toutefois un prérequis : les modèles d’IA ne sont pertinents que si la donnée en entrée est massive, structurée et fiable. L’intelligence artificielle vient ensuite amplifier cette puissance analytique, en proposant, par exemple, une anticipation automatisée des flux, la détection de signaux faibles dans les tendances de consommation ou une segmentation très fine du marché. Contrairement à la simple « Data Science » – centrée sur la collecte, l’analyse et la visualisation de données pour guider la décision humaine –, l’IA ajoute une dimension prédictive, prescriptive et, parfois, générative : ses algorithmes apprennent à partir d’immenses bases de données pour détecter des patterns, formuler des recommandations, automatiser des tâches, voire découvrir des corrélations inédites échappant à l’analyse classique.
Usages concrets et outils IA existants
Des plateformes spécialisées comme Cinelytic (États-Unis) et Largo.ai (Suisse) se sont imposées sur le marché mondial pour la prévision du box-office et l’aide à la distribution. Ces outils exploitent le machine learning pour prendre en compte des milliers de variables : scénario, casting, langage visuel, budget, temporalité de sortie, historique des performances, tendances du marché. Ils fournissent aux distributeurs des projections sur les recettes, la durée de vie en salle, l’impact d’une stratégie marketing ou le choix d’un territoire de sortie. Cinelytic permet par exemple à des studios (Warner Bros., Sony Pictures) d’évaluer différents scénarios de lancement et d’optimiser l’utilisation de leurs ressources promotionnelles. Cela inclut des prévisions de recettes au box-office (national et international), les revenus du marché secondaire (vidéo, streaming, TV), et même l’impact de certains talents (acteurs, réalisateurs) sur le succès d’un projet. Pour cela, Cinelytic se base très largement sur le machine learning et de vastes bases de données. Plutôt que de remplacer l’intuition créative, Cinelytic fournit des outils pour valider ou ajuster des stratégies. Elle permet de simuler différents scénarios (par exemple, changer la date de sortie, le casting, le budget) pour voir comment cela pourrait affecter les résultats. La plateforme intervient à tous les stades de développement d’un projet audiovisuel, de la production à l’exploitation en déterminant les meilleures stratégies de sortie, les marchés cibles et les campagnes promotionnelles.
De son côté, Largo.ai, référencé par le CNC dans son rapport intitulé « Quel impact de l’IA sur les filières du cinéma, de l’audiovisuel et du jeu vidéo ? » paru en avril 2024, fonctionne avec de nombreux distributeurs européens pour anticiper la performance d’un film avant même sa sortie et simuler les effets de différentes stratégies de distribution. Ces outils sont distinctement des IA : ils apprennent de chaque nouveau film ajouté au modèle et affinent en continu leurs prédictions.
Dans son rapport sorti en avril 2024 et cité plus haut, le CNC estime que malgré des performances élevées annoncées par ces plateformes, de nombreux professionnels expriment leur scepticisme sur la capacité d’une IA à prédire le succès d’une œuvre prototypique telle qu’un film de cinéma, ou sur l’utilité même de ces outils, notamment dans un contexte francophone, d’autant que les principaux outils de marché s’appuient sur des données américaines. Le coût élevé de ces plateformes constitue également une barrière à l’entrée pour de nombreux acteurs du cinéma et de l’audiovisuel. Le secteur craint à terme que l’utilisation de ce type d’outil amène à une sorte d’uniformisation des contenus produits.
L’inspiration des modèles de recommandation développés par les grands acteurs du streaming, Netflix ou Disney+, infuse le secteur salle. Ces plateformes ont construit des systèmes d’IA hybrides combinant filtrage collaboratif, machine learning supervisé et analyse de similarité contenu-utilisateur. L’objectif est de proposer des suggestions personnalisées selon l’historique de visionnage, l’heure, les goûts ou la géolocalisation…
L’intégralité de l’article rédigé par Ilan Ferry dans La Lettre n°191, est accessible aux membres de la CST.
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